Je dois à ma tante Sophie d’avoir, dès mon jeune âge, associé l’Italie à une forme de bonheur. Elle aimait tellement ce pays qu’elle envisagea de se convertir au catholicisme – comble du scandale dans un pays où l’orthodoxie était religion d’Etat -, et l’on imagine aisément que des parents aussi conservateurs que Nicolas et Sophie Gorboff aient rapidement mis fin à cette velléité de révolte, si ce n’est de trahison. Tante Sonia avait 27 ans en 1918 et se souvenait parfaitement des fréquents séjours de la famille Gorboff en Italie. Rome était sa ville d’élection : par respect de l’antiquité, elle marchait pieds nus sur la via Appia antica, se réveillait à l’aube pour voir le soleil se lever au-dessus du forum sur lequel elle dérobait des pierres, ignorant que des ouvriers déversaient des brouettes de cailloux à l’intention des touristes… Bien des années plus tard, lorsque tante Sonia put enfin revenir en Italie, elle rapporta encore un fragment de mosaïque. Je l’ai pris dans sa chambre lorsqu’elle mourut.
Avant ma tante Sophie, mon grand-père Nicolas Gorboff (1859-1921) a aimé ce pays au point d’envisager l’achat d’une maison à Capri. Et après tante Sonia, il y a moi, qui ne cesse de faire le voyage… La rapidité avec laquelle, avant et après l’exil, notre famille a trouvé le chemin de l’Italie, est le sujet de ce billet. Pour des milliers d’exilés de Russie et d’ailleurs, l’Italie, matrice de la culture européenne – latin, Antiquité, catholicisme et Renaissance -, a été un symbole et un refuge. Sans elle et sans la culture du pays d’accueil, toute assimilation eût été impossible. Lire la suite