La guerre civile (1918-1920). Souvenirs de Michel Gorboff

Mis en avant

ПЕРЕВОД С РУССКОГО

Archives familiales  (c) Gorboff

Michel Gorboff (1898-1961) vers 1918. Archives familiales(c)

Michel Gorboff (1899-1961), mon père, a rédigé ses souvenirs vers 1954, à l’âge de 56 ans. Ils sont demeurés inachevés. Ma mère me les a remis en 1995, lors de la rédaction de « La Russie fantôme ». Papa ne m’avait jamais parlé de ce texte : j’avais dix-huit ans et ma vie était ailleurs.

La publication de ces souvenirs de la guerre civile a  d’abord été réalisée en russe par la revue Zvezda (2003, n°11). En février 2019, ils ont été inclus dans le blog.  

Il m’a semblé que leur mise en ligne s’imposait également en français, notamment pour les descendants des émigrés de 1920 ne lisant pas le russe. Pour une meilleure lisibilité, j’ai  fragmenté le texte en trois parties. Le texte russe figure également dans ce blog.

Le tapuscrit des Souvenirs de mon père a été remis en dépôt à la bibliothèque municipale de Dijon, qui publie dès à présent mon blog en ligne :  patrimoine.bm-dijon.fr/pleade/subset.html?name=sub-fonds

                           

                                                                         

                          

         

1. Et l’on ne peut plus rien, désormais…

      Le désir de vous décrire, à toi, ma fille, et à toi, ma femme, ce qu’il m’a été donné de voir et de vivre m’est soudain revenu après avoir rencontré un camarade de la guerre civile. Il m’est apparu que j’avais déjà oublié beaucoup de choses, que je ne pouvais plus me rappeler la chronologie des événements, ni même le nom de tel ou tel autre individu, et que cette rencontre avait réveillé tous mes souvenirs. En trente-quatre ans, le temps a fait son œuvre, arrondissant les angles aigus, effaçant les choses encombrantes de ma mémoire. Il n’a ménagé qu’une seule chose : le sentiment que ces temps difficiles ont été pour moi les meilleurs moments de la vie. Jamais, plus tard, il ne m’a été donné de brûler d’une telle ardeur, jamais je n’ai retrouvé un idéal aussi élevé au nom duquel il fallait non seulement lutter, mais risquer sa vie. Lorsque cette flamme s’est éteinte, lorsqu’elle a été remplacée par la vie quotidienne avec ses grandes et petites difficultés, lorsque les mois et les années d’une existence difficile et souvent ennuyeuse se sont écoulés, alors, me retournant vers le passé avec ce camarade soudain retrouvé, j’ai perçu avec une force accrue le sens de ma participation à cette terrible guerre. Ce sens  n’existe que pour moi et cela pour une raison bien simple : je n’ai pas à rougir en évoquant cette époque. Je ne pouvais alors ni donner davantage, ni faire plus, et ce sentiment m’est cher au soir de ma vie car j’ai commis de nombreuses erreurs et les choses n’ont pas été faites comme elles auraient du l’être. Et l’on ne peut plus rien, désormais. Lire la suite