Que sont mes amis devenus Que j’avais si près tenus Et tant aimés
Louis Martinez est mort le 6 février à Aix-en-Provence, huit années après André Volkonsky… Même funerarium, mêmes cyprès, même église…Je reviens de l’enterrement de Louis et l’absence d’André se fait toujours cruellement sentir.

Louis Martinez lors de l’émission de Bernard Pivot, Apostrophes, 1982. Archives de l’INA (Cliquer sur l’image pour accéder à la vidéo)
Tous deux étaient nés à quelques jours d’intervalle en février 1933, l’un à Oran, l’autre à Genève, et se connaissaient depuis que Louis était allé parfaire sa connaissance du russe à Moscou, en 1956. Ils étaient magnifiques d’intelligence, de charme, de culture et de vie. Louis enseignait la langue et la littérature russe, traduisait prose et poésie, André était compositeur et claveciniste. Ils vivaient à Aix-en-Provence. Leurs biographies se trouvent en bas de page.
Ils avaient en commun une jeunesse et une vie placées sous le signe d’un double déracinement. Pour Louis, l’Algérie, la France et d’une certaine façon, la Russie. Pour André, né de parents émigrés, un aller en URSS à l’âge de quinze ans, suivi d’un retour en France après vingt-cinq années de communisme. Unis par la dénonciation du système soviétique et de nombreux amis, ils parlaient français entre eux. Leur amitié ne prit fin qu’à la mort d’André. Ils sont à mes yeux inséparables.
La dernière fois que j’ai vu Louis, c’était en automne 2012. J’étais allée sur la tombe d’André à Menton et m’étais arrêtée à Aix. Il faisait beau, mes genoux étaient encore d’acier ( Louis, mail du 2 janvier 2016 : A toi aussi, bella ragazza ! DEs genoux d’acier et un moral de même métal ! Baci ) et j’avais envie de célébrer le meilleur de la vie. Nous avons couru au marché acheter des cèpes, deux kilos de cèpes, et chez des commerçants à la recherche de saucisses espagnoles, de calamars, de vin. Jacqueline et Louis aimaient cuisiner, et comme cela n’arrive qu’une fois tous les vingt ans car il faut pour cela que de nombreuses conditions soient réunies (la première étant celle d’avoir des amis, la seconde, celle de leur faire immédiatement écrire la recette demandée), j’ai pu conserver celle des migas – plat de vendangeurs espagnols à base de pain rassis et de raisin – qu’à ma demande, Louis écrivit entre la table et le fourneau.
Comme jadis en Russie les jeunes filles de bonne famille conservaient des poèmes dans un album, j’ai collé la recette des migas dans un cahier, à côté de quelques autres. L’image, l’écriture, la voix… Je sais que je ne cuisinerai jamais ce plat : il me suffit de savoir qu’il est là.
Au cours de ce dernier séjour à Aix-en-Provence, nous nous sommes à un moment retrouvées seules, Jacqueline et moi. Elle m’a parlé de Louis et du livre qu’il lisait avant de partir à la clinique, Le Duel, de Conrad – Tu sais ce qu’il avait mis dedans? – Non – La carte postale que tu lui avais envoyée de Syrie ; il l’aimait beaucoup.
La vie ne vaut que par de tels raccourcis. Le livre et la carte postale sont aujourd’hui chez moi. Merci, Jacqueline, d’avoir transmis ce lien. Et merci à toi, caro amico, d’avoir été ce que tu fus. Ce mot est pour toi.
Marina Gorboff, Paris, le 16 février 2016
- Louis Martinez
- André, Louis et Aix, par Jacqueline Martinez, dans ce blog
- http://www.cipmarseille.com/auteur_fiche.php?i
- http://displacedobjects.com/2016/03/25/les-reliques-louis-martinez/
- André, Louis et Aix, par Jacqueline Martinez
- André Volkonsky https://fr.wikipedia.org/wiki/Andrei_Volkonski
- André Volkonsky, l’Italien…
- Les Souvenirs d’André Volkonsky
contact:gorboff.marina@gmail.com
Après ma disparition, ce blog sera numérisé et accessible sur le site de la bibliothèque municipale de Dijon, dans le cadre d’un fonds Gorboff:
Merci, merci de tout coeur chère Marina pour ces lignes si évocatrices et affectueuses !
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Tout ceci est tres beau et nous permet de s’envoler au-dessus de tant de mediocrite.
Merci !
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