Dans ce blog qui, je le rappelle, est avant tout destiné aux descendants francophones des émigrés russes, je voudrais évoquer le destin et la mémoire d’une femme qui m’est chère, Irina Nicolaevna Ougrimoff (1903-1994).
La jeune Irina Mouravieff émigre en 1925 à Berlin, puis à Paris ; en 1948, contre sa volonté car elle prévoit le sort qui l’attend, elle rejoint son mari en URSS où elle est condamnée à huit années de camp. Cette période de sa vie est relatée dans l’ouvrage de son mari, Alexandre Ougrimoff (1906-1981) « De Moscou à Moscou en passant par Paris et Vorkouta » Moscou, 2004, uniquement disponible en russe.
Nos deux familles se connaissaient depuis le début du siècle et nos liens n’ont cessé de s’entrecroiser pendant plusieurs générations, dont celle de mes enfants. En 1990, ma fille cadette et son mari, alors âgés d’un peu plus de vingt ans, visitaient Moscou et voyaient Irina Nicolaevna tous les jours. Comme ils rentraient d’une exposition de Mémorial, un violent orage les a contraints à se réfugier sous un porche. Et c’est là, sous les éclairs et la pluie, qu’ Irina Nicolaevna a raconté ses années de camp à ces jeunes Occidentaux à mille lieues de la réalité soviétique. Elle voulait qu’ils connaissent autrement que par des livres ce qu’avait été le Goulag. « Ce fut un grand moment » dit ma fille Hélène. L’une de ses filles s’appelle Irina.
Un peu d’histoire. Chacun sait qu’au lendemain de la guerre, Staline s’arrogea le mérite de la victoire sur l’Allemagne nazie et poussa les pions à son avantage, non seulement lors de la conférence de Yalta mais également dans une sphère plus restreinte. Accordant son pardon aux émigrés jusqu’alors qualifiés d’ennemis, il les appela à revenir en URSS. « Soviétiques ou émigrés, nous sommes et resterons toujours russes, leur fit-il savoir. Revenez dans votre patrie, aidez-nous à la reconstruire et mourez en paix sur cette terre que vous aimez tant ».