André, Louis et Aix, par Jacqueline Martinez

André Volkonsky et Louis Martinez ont vécu vingt-trois ans dans la même ville,  Aix-en-Provence. Jacqueline Martinez évoque leur amitié.

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Louis Martinez et André Volkonsky, Aix, vers 1998

André est une des premières personnes dont Louis m’ait parlé lorsque nous nous sommes rencontrés à Paris, en janvier 1963. Il était encore sous le coup du premier signe concret qu’il avait reçu de lui : trois mois auparavant, Galia Arbouzova, ex -seconde épouse d’André, lui avait apporté de sa part le numéro de Novy Mir où avait été publié Une Journée d’Ivan Denissovitch. Double commotion qu’il essayait de me faire comprendre en évoquant cette année 1955-56 qu’il avait passée à Moscou comme étudiant boursier. Une année qui avait laissé en lui une marque traumatique que n’avait pas recouvert  le traumatisme de la fin de l’Algérie. Il me parlait souvent d’André, dont j’ai découvert le visage sans sourire sur une photographie qu’il gardait précieusement dans son portefeuille : regard sur ses gardes derrière les lunettes, cheveux en bataille, lippe boudeuse. En chemise à carreaux, une cigarette aux doigts. Louis pensait qu’il ne le reverrait  jamais. Quand il avait quitté Moscou pour Paris en juillet 1956, les derniers mots d’André avaient été : « N’écris pas ».  A cette époque, impossible d’imaginer que le rideau de fer tomberait un jour. En épousant Louis, j’avais le privilège d’écouter un témoin de ce « monde à part » (des années plus tard nous découvririons, bouleversés, le livre de Gustaw Herling Grundjinski) qu’il s’ingéniait en vain à faire comprendre autour de lui. En même temps, de ce monde, je voyais se détacher la silhouette de quelqu’un d’exceptionnel et d’inaccessible, qui occupait une place tout à fait à part dans le proche passé de Louis.

Leurs retrouvailles ont eu lieu à Moscou, en janvier 1969. Louis, maître-assistant à la faculté des Lettres d’Aix, avait obtenu cette fois une bourse de recherche. Il avait devant lui un André presque méconnaissable : moustache à la Salvador Dali, marchant avec une canne (une houlette à la crosse ouvragée, rapportée d’un voyage dans les Carpathes). Un don Juan qui disposait d’un « Carnet de belles » : « Les femmes sont folles de moi, je ressemble de plus en plus à lord Byron ». Un André qui avait fait sa place, à sa manière, dans l’establishment musical soviétique ; qui, à la première occasion, retrouvait ses chères montagnes au Daghestan, séjournait à Tbilissi ou en Arménie. Un André que j’ai fini par rencontrer un an plus tard,  qui m’intriguait vraiment. Nous avions obtenu un visa grâce à l’attaché culturel du moment, Gérard Abensour, normalien comme Louis. André rentrait de Géorgie. Nous sommes allés le chercher à la gare. Il rapportait mille bonnes choses à manger et des bouteilles de tchatcha. Il a déployé tout son charme, tous ses talents, sans pour autant me marquer de réelle sympathie. Les quinze jours que nous avons passés à Moscou/Léningrad ont été très arrosés. Je me souviens d’une nuit blanche, à la sortie d’un concert de clavecin, qu’André nous a fait achever presque titubants à Tsaritsyno, fantomatique sous la neige à la lueur de l’aube. Quand nous avons repris l’avion, nous avions l’impression que nous le laissions en prison, que ce serait toujours à nous de venir le voir. Et en même temps, dans cette prison, il avait une vie, réussie autant que possible: la célébrité, les tournées de Madrigal dans toutes les républiques de l’Empire, une discographie, les voyages au Caucase, l’aisance grâce à la musique de film très bien payée qu’il composait pour Partisan Film.

Et puis, à Vienne, au mois de mai 1973, Louis va l’attendre à sa descente de train. Il a la gueule de bois, il est ahuri, en apnée. Mais il émerge bien vite grâce aux chopes de bière de Grinzing, aux valses de Strauss qui ont l’air d’être jouées rien que pour lui sur une place de Vienne. Un soir à l’opéra, il assiste en passant du rire aux larmes à une représentation éblouissante de la Chauve-Souris. La tête lui tourne, au moment d’entrer dans un premier magasin de disques, devant l’énormité du choix. Il réprime un hoquet au restaurant en voyant sur la carte le nombre de sauces différentes pour accompagner des asperges. Il va toucher ses droits d’auteur pour les Plaintes de Chtchaza (qu’il claquera en une nuit) dans une maison d’édition où on l’accueille avec un Frescobaldi joué par lui au clavecin. Tout semble dire : Bienvenue en Occident ! Mais Louis sait que la partie sera dure à jouer, qu’André a acquis des habitudes de nabab en URSS, que l’Occident n’est pas un Eldorado. Il n’est lui-même pour rien dans la décision prise par André de quitter l’URSS parce qu’il respecte trop la liberté de son ami. André part pour Genève où vit encore sa grand-mère maternelle. Déchu de la citoyenneté soviétique, arrivé à Vienne avec un torchon de papier pour toute pièce d’identité, il obtient le statut de résident privilégié en Suisse. Il y passera tout l’été, à faire l’inventaire minutieux des moindres lieux de son enfance en même temps qu’une orgie de cinéma.

Il arrive chez nous fin septembre. Parents de trois enfants encore jeunes, nous sommes alors assez petitement logés mais, sans la moindre pression, Louis nous a inculqué le culte d’André et il faut bien vivre à l’heure du Prince, accepter comme allant de soi ses moindres caprices, tocades, sautes d’humeur, remarques blessantes. Il fait passer cette tyrannie par son intelligence, son art de conteur, sa drôlerie et la grande incertitude de son sort. Son impresario (parent du ténor Wunderlich) lui a organisé un concert à Manchester. Mais où trouver à Aix un clavecin pour répéter ? Un ami nous adresse à deux facteurs habitant sur les hauteurs d’Aix, un lieu magique nommé la Tour de César, dans la propriété de leur protectrice Méraud Guevara, héritière des bières Guinness et par ailleurs excellent peintre. Louis et André se présentent donc à l’Anglais Wayland Dobson et au Suisse Jeannot Eicher et c’est le début d’une nouvelle amitié magnifique, une date dans notre vie à tous, enfants compris. C’est chez eux qu’André, qui n’a connu que des clavecins usinés en Allemagne de l’Est, découvre ces beaux instruments, créés à la main de A à Z,  et modifie son jeu.

Avec son départ d’Aix pour Manchester commence véritablement sa nouvelle vie. Nomade, avec pourtant des pauses à Paris, Genève, Rolantsek, Berlin, Belley dans l’Ain, chez Irène, une cousine germaine de son père, et sœur de Lisette Volkonski. La plus longue aura été Florence. Il prend l’habitude d’arriver chez nous sans crier gare. Entre deux séjours, aucune nouvelle. André est fidèle mais il vit dans l’instant présent. En outre, à cette époque, les communications téléphoniques longue distance sont onéreuses et écrire des lettres lui fait horreur, le renvoie, consciemment ou inconsciemment, au monde soviétique dans lequel correspondance = censure. Parfois, une carte tout de même, pour le plaisir d’un bon mot. Nous avons maintenant quatre enfants, sommes plus grandement et plus agréablement logés, au cœur du vieil Aix, sur deux étages d’un hôtel particulier du XVII -ème siècle, 15 rue des Epinaux. André aime son charme un peu croulant, son allure de grotte aux miroirs, de souk. Nos enfants, devenus adolescents, commencent à exister à ses yeux. Il les juge dignes de sa conversation, il s’attache à eux. Et que dire de la marque indélébile qu’il aura laissée en eux ! Il m’aime bien, maintenant qu’il a sans doute découvert que je n’étais pas que la femme de Louis doublée d’une servante au grand cœur. A leur tour, Jeannot et Wayland ont changé de fief pour La Gaffe, un vallon enchanté dans la Drôme,  où  coule un ruisseau, un monde à soi seul, le rendez-vous des amis les plus originaux, artistes, musiciens, peintres. On rit, on mange de façon inoubliable, on boit entre autres choses du vin blanc suisse nommé Fendant, on chante, on danse, on improvise des concerts, on joue au jeu du dictionnaire, aux vers holorimes, le poète Philippe Jaccottet toujours imbattable dans cet exercice sophistiqué. On refait le monde sous le grand mûrier de la terrasse. On rit beaucoup…. Tant qu’André n’a pas de clavecin à lui, il vient travailler à La Gaffe avant chaque concert. C’est, avec l’Italie, l’endroit où il aura été vraiment heureux.

Et Aix? ll a commencé par le dédaigner. »Oui, c’est gentil, no mnogo tchioutchmekov ! »  Et puis les années passant, sa carrière de musicien restant pointilliste, sa santé le rappelant à l’ordre, devenu riche par le legs considérable d’une sœur de sa mère, sachant bien que nous ne lui ferons jamais défaut, il décrète un beau jour, en 1987 : « Tchoudnyi gorod « (une ville magnifique), jetant finalement l’ancre dans le confortable appartement du Parc Sainte-Victoire, et il devient une figure aixoise. On le voit tous les jours rue d’Italie, devenu élégant, attablé à la terrasse du café « Le Carrefour ».  Il y a un autre rite : le déjeuner dominical chez nous où il arrive un gâteau de chez Riederer à la main. Il est de toutes nos fêtes familiales, heureux, je crois, de se trouver chez des Français venant de l’autre côté de la mer, chrétiens de surcroît. Mais il a sa vie à lui, reçoit magnifiquement, excellent cuisinier, au comble de la félicité quand il fait écouter et commente des enregistrements sublimes, rangés impeccablement et répertoriés avec un soin maniaque, de son écriture de gaucher, dans un cahier d’écolier. L’été, tant que sa mobilité le lui permet, il part, comme il le faisait dans sa vie à Florence, pour les montagnes du Valais, fuyant la fournaise de ces villes méridionales qui le transforme en « méduse cuite ».  Au printemps, c’est l’appel de l’Italie. Il loue une voiture. Il lui faut un chauffeur,  qui soit un ami, qui ait de la conversation, qui ait un goût sûr, qui obtempère, surtout. Assis à côté de l’élu – ou de la victime consentante -, une carte sur les genoux,  de son accent genevois il dicte l’itinéraire de son choix au pays de la Beauté. C‘est ainsi qu’il a entraîné Florian Rodary, rédacteur de la Revue des Belles Lettres à Lausanne, neveu de Philippe Jaccottet, Marina Gorboff à maintes et maintes reprises et, une fois, un étrange personnage qui a été un de ses véritables amis à Aix, dont nous n’avons jamais connu que le prénom, identique au sien : Andràs.

Quand nous recevions de la famille à l’occasion des grandes fêtes, et avant de se fixer définitivement à Aix, André logeait à l’Hôtel Cardinal, dans le quartier aristocratique,  à l’ombre du clocher de l’église Saint-Jean de Malte. C’est là qu’il a fait la connaissance d’Andràs qui y était veilleur de nuit. En 1956, tout juste adolescent, il avait fui la Hongrie au moment de la répression de Budapest, passant des nuits cachées dans des fossés, et avait fini par arriver à Lyon où la famille Lumières l’avait recueilli. Nous n’avons jamais su comment il s’était installé à Aix. En tout cas, ce solitaire arrivait à 21 heures à l’hôtel Cardinal pour prendre sa garde de nuit, avec un sac de sport chargé de canettes de bières, et le jour, il peignait dans un minuscule studio de l’autre côté du Cours Mirabeau. Il était de ces familiers dont André ne partageait l’amitié avec personne d’autre, se sentant bien avec lui parce qu’il venait lui aussi du « monde à part » et parce qu’il était artiste. Pour l’aider financièrement et parce qu’il aimait sa peinture, il lui avait acheté deux très bonnes toiles que j’aimais regarder quand j’écoutais de la musique dans son salon. L’été, quand il partait en Suisse, il laissait son appartement à Andràs qui pouvait s’y étaler à son aise pour peindre. A l’un de ses retours, André la retrouve méconnaissable, le teint gris, les joues creuses, atteint d’un cancer. Il ne peut plus travailler. André le garde chez lui jusqu’ au moment où l’entrée en clinique devient inéluctable. C’est avec des sanglots qu’il nous apprend, très vite, la nouvelle de sa mort.

Ivan Staquet était un autre fidèle qu’il ne voyait qu’en tête à tête. Veilleur de nuit lui aussi, mais belge d’origine, ancien étudiant de Louis, connaissant excellemment le russe, l’anglais et l’espagnol, il vivait (il vit encore!) le jour dans la bibliothèque Méjanes pour des recherches sur la peinture russe du XXème siècle. Des recherches historiques, aussi, qui avaient abouti à une thèse soutenue brillamment devant un jury prestigieux. Mais après cela il était resté veilleur de nuit, continuait ses recherches, vouant un culte à son ancien professeur dans le sillage duquel il avait connu André. Il avait commencé à faire des visites et, comme le Prince se prêtait de bonne grâce à ses questions, avait décidé avec son accord de l’enregistrer sur son magnétophone. Tous les lundis, il arrivait avec une boîte de gâteaux et son micro et remportait sa récolte. Au fil des années, on peut imaginer le nombre d’heures de conversation enregistrées à bâton rompu. Quand André est mort, Louis a pressé Staquet de saisir tout cela à l’ordinateur, ce qu’il a fini par faire. Il va de soi que ces pages, outre qu’elles restituent de façon saisissante les manières de s’exprimer, les humeurs d’André, forment un document exceptionnel sur la vie culturelle et artistique en Union soviétique, mais contiennent aussi ses réflexions sur la politique, l’art en général, ses voyages au Caucase et aussi en Europe, etc…  Dès qu’il a été question de publication, les choses sont devenues compliquées. Staquet voulait d’abord faire des retouches sans commettre de sacrilège, traduire en français ce qui était en russe, supprimer les redites. Tout cela était parfaitement justifié, sauf qu’il ne pouvait se résoudre à faire quoi que ce soit et se fermait comme une huître dès qu’il était question d’en charger quelqu’un d’autre. Ce texte précieux dort sous forme de mauvaises photocopies chez deux ou trois personnes et gare à celui ou celle qui risquerait la moindre publication ! Il encourrait tout simplement des poursuites de la part de la Société des Auteurs et Compositeurs…

André était très heureux chez nous, mais il avait besoin de se trouver aussi en milieu russe. En octobre 1994, Louis est allé accueillir à la gare d’Aix la nouvelle lectrice de russe, Irina Mikaelian, arrivant de Moscou accompagnée de sa fille Liza alors âgée de 10 ans. Toutes deux se sont installées au rez-de-chaussée d’une maison avec jardin toute proche de l’appartement d’André dont les propriétaires étaient de nos amis. Liza, qui étudiait le piano depuis 5 ans et s’était inscrite dès son arrivée au conservatoire de musique d’Aix, avait besoin d’un instrument. En attendant qu’une location ou un achat se fasse, elle allait travailler chez André, qui l’ignorait superbement, jusqu’au beau jour où son jeu avait retenu son attention et l’avait décidé à « s’occuper d’elle ». Il n’est pas exagéré de dire que la vie d’André a changé à partir de ce moment et que Liza sans lui ne serait pas tout à fait celle qu’elle est devenue. Probablement pour la première fois de sa vie, lui, qui était peu porté sur la pédagogie, a joué ce rôle de Pygmalion et avec d’autant plus de talent et de plaisir que Liza était un sujet exceptionnel. Dans le même temps, par une heureuse coïncidence, sa vie aixoise s’est élargie et équilibrée. Il s’est mis à inviter dans son spacieux appartement du Parc Sainte-Victoire des amis, musiciens surtout, venus de Russie, d’Arménie, de Géorgie, sa cousine de Rome née Stolypine, sa première épouse Helvy, leur fils Petia. Non loin de là, Irina, devenue très vite amie d’André et du clan Martinez, recevait souvent des parents et amis qui apportaient avec eux un peu d’air d’ une Russie qui n’était déjà plus celle qu’il avait laissée, et des nouvelles qu’il feignait d’ignorer mais dont il ne perdait certainement pas une miette. Je nous revois assis un soir sur la terrasse d’Irina, où André nous avait rejoints, en compagnie de Merab Gagnidze que nous avions promené de la forêt de la Sainte-Baume à la montagne Sainte-Victoire. Un beau rosier montait jusqu’aux fenêtres de Georges et France Bonnaud, les propriétaires de cette demeure, provençaux de souche, de vieilles familles aixoise et avignonnaise. Et nous nous trouvions bien ensemble, nous qui, contrairement aux maîtres de ce lieu fait à leur image, entretenions des rapports si différents et si compliqués avec notre Heimat, mot qu’André ne prononçait jamais sans un tremblement dans la voix.

Ils étaient presque jumeaux : deux jours séparaient leurs anniversaires de février. Louis évoquerait infiniment mieux que moi cette amitié qui aura duré 52 ans mais la pudeur l’empêcherait sans doute de mettre à découvert le pacte d’amitié à l’antique qui les liait tacitement, en dépit des orages. Il faisait toujours une visite à André quand il revenait de ses cours à la Fac, passant d’abord par la salle de bains pour enlever la craie ou les traces de marqueurs qu’il avait sur les doigts… André racontait cela en riant, comme si c’était un moment capital de sa semaine. Leurs disputes n’ont jamais dégénéré en brouilles, alors que je suis restée plusieurs mois en refusant de le voir parce qu’il avait vraiment passé les bornes de la muflerie. Nous nous sommes réconciliés à l’enterrement de Jeannot bientôt suivi par celui de Wayland. Le rideau tombe pour toujours sur les crépuscules lumineux de La Gaffe. Sa santé se dégrade. En août 2006, Louis manque de se noyer en Galice. Deux mois plus tard André l’appelle d’une voix mourante : il a fait une chute dans la nuit, grave, il ne peut pas se relever. Souffrant horriblement, il a fini, en rampant, par tirer à lui le fil du téléphone pour appeler son ami à l’aide. Des mois d’hospitalisation dont il sort sur un fauteuil roulant. Il accomplit la dernière partie de sa vie avec  une classe, un cran qu’on peut dire princiers. Le 16 septembre 2008, Louis va lui faire une visite,  il a ses clés. Je dois les rejoindre après un rendez-vous chez le dentiste. La porte en bas tarde à s’ouvrir. Je lève les yeux vers le balcon du second étage. Louis tend vers moi un visage refermé sur une peine infinie, fait du bras le geste que tout est fini. Dans la cuisine, face à la fenêtre, André est assis sur son fauteuil, la tête renversée en arrière. Il a un sourire d’enfant, l’air de regarder le ciel, à la main un de ces petits verres dans lequel les Suisses boivent le Fendant, qu’il n’a pas eu le temps de remplir… Quand Petia et sa mère Helvy sont arrivés d’Estonie, nous sommes passés par le funérarium où son corps était exposé en attendant l’inhumation dans le caveau de la famille Volkonsky au cimetière de Menton. Dans la petite pièce faiblement éclairée, je retrouve, fixée pour l’éternité, la distinction, l’élégance d’un gentilhomme russe aperçue sur une photographie de son grand-père paternel qu’il nous avait montré un jour. La dernière fois que je l’avais vu avant sa chute et tout ce qui a suivi, je faisais mes courses, il était arrêté sur la place du petit marché, sous les platanes. Appuyé sur sa canne, sa casquette de velours danoise sur la tête, il était en compagnie du musicien Hrabowski venu le voir depuis New York. De loin, j’étais frappée par l’expression de son visage : penché vers lui, il lui parlait en souriant avec une gentillesse, une attention extrême. J’avais l’impression qu’il faisait les honneurs de la ville,  le tour du propriétaire, dans son rôle favori d’initiateur. Lui qui détestait tellement qu’on l’initie ! Oui, il avait fini par se sentir chez lui à Aix, point final d’une trajectoire marquée si profondément, si cruellement par les tourmentes du XXème siècle.

                                                                                         Jacqueline Martinez, Aix, 2018

Voir également, dans ce blog:

       – Les Souvenirs d’André Volkonsky ( en français et en russe)

      – André Volkonsky, l’Italien…

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 Après ma disparition, ce blog sera numérisé et accessible sur le site de la bibliothèque municipale de Dijon, dans le cadre d’un fonds Gorboff :

                           patrimoine.bm-dijon.fr/pleade/subset.html?name=sub-fonds